James Chatto a fouillé les archives d'À bon verre, bonne table pour y dénicher les recettes emblématiques de quatre cocktails indémodables qu'il met toutefois au goût du jour. Elles sauront peut-être inspirer vos propres variations sur ces classiques.
Emblème de l’âge d’or flamboyant de New York, le Manhattan n’en est pas moins intemporel, comme le sont les grandes œuvres d’art.
Christine Sismondo, gourou des cocktails et collaboratrice régulière d’À bon verre, bonne table, a fourni la recette classique aux proportions idéales dans notre numéro de l’été 2020. Combinez 60 ml (2 oz) de whisky de seigle, 30 ml (1 oz) de vermouth rouge doux, 3 traits d’amer Angostura et 5 glaçons dans un verre à mélange. Remuez bien pendant 45 secondes et passez dans une coupe préalablement refroidie, puis décorez de « 1 cerise dodue de la variété italienne amarena (p. ex., celle de la marque Toschi ou Fabbri). »
Ce cocktail a été créé au Manhattan Club le 3 novembre 1874 pour célébrer l’élection de Samuel J. Tilden au poste de gouverneur de New York. Une rumeur insistante circule selon laquelle ce serait Jennie Jerome, la célèbre beauté mondaine, qui aurait demandé au barman d’élaborer un cocktail spécial et nouveau ce soir-là, mais ce n’est pas vrai. Elle se trouvait alors au Blenheim Palace, en Angleterre, avec son époux Lord Randolph Churchill et elle était sur le point de donner naissance à son fils Winston. Il semble que le barman anonyme ait agi seul...
Le Perfect Manhattan, moitié-moitié vermouth blanc sec et vermouth rouge doux, est déjà un splendide cocktail en soi. Choisir les vermouths du même producteur procure une symétrie agréable.
Vous pouvez remplacer le vermouth par du xérès amontillado, utiliser un amer à l’orange à la place de l’Angostura, puis ajouter un morceau d’écorce d’orange de quelques centimètres et décorer d’un tortillon de zeste de citron – voilà! Vous tenez entre vos mains un Manhattan espagnol, tel qu’il a été créé pour notre numéro de l’automne 2018 par Michelle P. E. Hunt et Laura Panter, alias The Martini Club.
Le Manhattan à base de bourbon ou de whisky canadien fait d’un mélange de maïs et d’autres grains est chose courante, mais seul un whisky de seigle pur possède la légèreté et les vives notes épicées nécessaires pour contrebalancer la douceur du vermouth. Le Whisky Alberta Premium est le choix de prédilection au Canada.
Les amateurs de gin peuvent froncer les sourcils, mais le martini à la vodka a de nombreux adeptes. Il s’agit du meilleur cocktail pour apprécier la personnalité éthérée d’une vodka.
En ligne, en septembre 2019, nous avons en quelque sorte couvert nos paris en suggérant 60 ml (2 oz) de vodka ou de gin, et 15 ml (1/2 oz) de vermouth sec – ou moins, au goût. Même le tortillon de zeste de citron en décoration avait une option de remplacement, soit l’olive à cocktail verte. Mais n’est-ce pas là l’intérêt du martini? Le plus simple des cocktails offre d’infinies possibilités de personnalisation. Le seul point commun est qu’il doit être servi très, très froid. La vodka que je préfère en ce moment est la Zirkova One, incroyablement moelleuse et dotée d’arômes de fenouil, de vanille et de citron.
Ne nous empêtrons pas dans la jungle de théories concernant les origines du martini au gin. La première utilisation du terme précis « vodka martini » semble se trouver dans The Fine Art of Mixing Drinks de l’avocat fiscaliste américain David A. Embury, publié en 1948. (Dans les éditions ultérieures, il a appelé ce cocktail « Kangaroo » malgré qu’il n’y ait aucun lien avec l’Australie.) Dans les années 1940, la vodka était un ingrédient exotique, inextricablement associé à l’Europe de l’Est. C’était encore le cas lorsque le James Bond de Sean Connery a commandé son martini pour la première fois dans le film James Bond 007 contre Dr. No (1962), mais c’est le serveur qui l’a décrit, et non l’agent secret : « Un vodka martini moyennement sec, mélangé comme vous l’avez dit, monsieur, et non remué. » (Traduction libre) Un Anglais qui préférait secouer la vodka plutôt que de remuer le gin!? De toute évidence, c’était le début d’une nouvelle ère.
Il fut un temps où un trait d’amer à l’orange était indispensable dans un martini. Ce détail semble avoir disparu, mais pourrait facilement être rétabli avec n’importe quel type d’amer moderne, sans oublier la saumure d’olives ou de câpres.
Rien n’est plus important que les proportions de spiritueux et de vermouth. Embury préférait un 7 pour 1; Winston Churchill se contentait de jeter un coup d’œil à la bouteille de vermouth. Entre les deux, il y a aussi la version qui consiste à simplement rincer le verre avec un peu de vermouth. Remplacez le vermouth blanc sec par du saké ou du vin de glace ou, pour une version moins controversée, par du xérès fino. Une combinaison particulièrement harmonieuse résulte de l’utilisation de la vodka de blé Aurora Crystal Head (LCBO 463539, 79,95 $), poivrée et épicée, et du Xérès Tio Pepe le tout décoré d’un tortillon de zeste d’orange. Cette vodka a le caractère nécessaire pour tenir tête à un fino aussi franc.
Aussi délicieux à l’apéro qu’en fin de soirée, le plus grand cocktail d’Italie a connu une ascension fulgurante au cours des 15 dernières années.
D’une simplicité désarmante, le negroni se compose à parts égales de gin, de campari et de vermouth italien rouge doux, remués et servis sur glace avec un tortillon de zeste d’orange en décoration. Dans notre numéro du début de l’été 2015, nous suggérons de presser le jus d’une rondelle d’orange dans le verre. Le parfait équilibre entre les notes botaniques, amères et sucrées est ce qui rend ce cocktail si intrigant.
Un après-midi de 1919, le comte Camillo Luigi Manfredo Maria Negroni entre au Caffè Casoni de Florence, en Italie, et commande un americano, ce populaire cocktail rafraîchissant composé de campari et de vermouth rouge doux à parts égales, complété de soda et décoré d’un tortillon d’orange. « Mais, dit-il au barman, un certain Fosco Scarselli, remplacez le soda par du gin. » Et c’est ainsi que le negroni voit le jour. Le comte était un homme intéressant. Né en 1868, il a passé 20 ans de sa vie comme cow-boy et clown de rodéo aux États-Unis et en Alberta, se forgeant une réputation de joueur et de fêtard. Il est retourné à Florence en 1905 et est décédé en 1934.
Vous pouvez jouer avec les proportions (une plus grande part de gin est ce qui se voit le plus souvent) ou allonger le cocktail d’un trait de soda. Mais la façon la plus populaire de modifier le goût est de choisir différents gins ou vermouths (sans toucher au campari ni à l’orange). Le Gin Hendrick’s apporte des notes de pétale de rose et de concombre, tandis que le Dry Gin d’Islay Bruichladdich The Botanist présente des notes plus herbacées. Un vermouth légèrement plus sec comme le Vermouth De Chambery Rouge Dolin peut également avoir un impact significatif, quoique léger. Le negroni vieilli en barrique est un phénomène récent et grandement apprécié.
Et si vous remplaciez le gin de votre negroni par du bourbon? Vous obtiendriez alors un boulevardier, un autre superbe cocktail, inventé par Erskine Gwynne – propriétaire d’un magazine américain à Paris en 1927 – et donc apprécié par de nombreux journalistes. Ou encore, si vous utilisiez du prosecco à la place du gin? Il s’agirait d’un negroni sbagliato (un « negroni erroné »), une variante proche d’un americano.
C’est l’un des classiques les plus anciens et même si on peut le préparer avec n’importe quel type de whisk(e)y, rien ne vaut le bourbon.
Jessica Huras a proposé un Old Fashioned exemplaire dans notre numéro de l’automne 2021. Pour réaliser sa version, commencez par mettre dans un verre un morceau ou 2 ml (1/2 c. à thé) de sucre et 3 traits d’amer Angostura, et écrasez le sucre jusqu’à ce qu’il soit dissout. Ajoutez 60 ml (2 oz) de bourbon (ou de rye whiskey) et remuez. Ajoutez un gros glaçon et remuez doucement jusqu’à ce que le cocktail soit froid. Tordez un morceau d’écorce d’orange au-dessus du verre pour en exprimer l’huile avant de le déposer dans le verre. C’est si simple – ni eau ni soda. Quel bourbon utiliser? Un choix sûr est le Kentucky Straight Buffalo Trace, un bourbon fruité et affirmé qui donnera des nuances de vanille et de caramel au cocktail.
Lorsque les membres du Club Pendennis de Louisville, dans le Kentucky, commandaient un « cocktail au whiskey à l’ancienne » dans les années 1880, ce qu’ils voulaient exactement, ce n’était pas une nouvelle création, mais bien la recette du célèbre barman Jerry Thomas dans son manuel de cocktails The Bar-Tender’s Guide, le tout premier du genre à être publié aux États-Unis, en 1862. Voici en quoi consistait la recette de Thomas : « 3 ou 4 traits de sirop de gomme, 2 traits d’amer (Bogart’s), 1 verre à vin de whiskey, 1 morceau d’écorce de citron. Remplir le tiers du verre de glace fine; secouer le cocktail et passer dans un verre à vin rouge de fantaisie. » À ses yeux, ce cocktail était tout à fait moderne, bien sûr; il a fallu du temps avant qu’il ne reçoive le nom de Old Fashioned.
Certains aiment ajouter une cerise au marasquin et une tranche d’orange et les écraser avec le sucre et l’amer avant d’y verser le whiskey. D’autres s’indignent de cette pratique, convaincus qu’un tortillon de zeste de citron ou d’orange en décoration suffit amplement en matière de fruit. On croit que l’amer « Bogart’s » (voir ci-dessous) mentionné par Jerry Thomas est une erreur – il devait plutôt s’agir de Boker’s, une marque très populaire du XIXe siècle avec une riche note de moka. Bien que l’amer Angostura soit le plus souvent utilisé aujourd’hui, l’amer au chocolat est sans doute celui qui s’approche le plus de l’original. Pourquoi ne pas changer l’édulcorant et opter pour un sirop ou un sucre aromatisé?
Au fil du temps, les amateurs ont marqué les changements d’époque en préparant ce même cocktail, mais avec un alcool différent. Dans les années 1930, on créait le Old Fashioned néerlandais en remplaçant le whiskey par un genièvre (gin hollandais) comme le Bols ou le De Kuyper. Aujourd’hui, le Old Fashioned au brandy, qui contient du cognac au lieu de bourbon et un soda fruité, est le cocktail non officiel de l’État du Wisconsin.
Une collection de cocktails classiques ne serait pas complète sans le daiquiri, la margarita et le mojito. Trouvez ici votre inspiration pour créer vos propres variations!